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19 sep 2018

Commentaires

Calimaq

Bonjour Olivier,

Je viens commenter sous ton blog (ce que je fais trop peu) pour développer un peu plus mon propos que je n'ai pu le faire en quelques tweets.

Désolé, mais même après tes explications, je trouve que c'est un tort de proclamer dans une tribune de presse que "nous avons perdu la bataille contre les algorithmes en ce qui concerne la vie privée". Comme je le disais sur Twitter, il y a une douzaine de recours collectifs en cours lancés en Europe contre les plateformes pour violation du RGPD, notamment celles de Max Schrems et de la Quadrature du Net. Les moyens soulevés sont tout sauf anodins et si ces décisions aboutissent, elles peuvent avoir des incidences non négligeables sur le fonctionnement des plateformes.

Affirmer comme tu le fais que le combat pour la vie privée serait devenu subitement "has been" est 1) faux sur le fond et 2) un peu symptomatique d'une course "d'influenceurs" qui cherchent à être les premiers à dénicher LE combat qui vaudrait la peine à lui seul de lâcher tous les autres séances tenantes. Désolé de le dire un peu abruptement, mais je pense que ton texte relève un peu de cette facilité...

De mon point de vue d'acteur engagé à La Quadrature du Net depuis 10 ans, les choses ne se passent pas du tout comme ça. Les différents sujets sont tous intrinsèquement liés entre eux et méritent d'être suivis dans le long terme. Mais par contre, comme le dit Benkler, nous sommes obligés d'opérer des hiérarchisations et des priorités, mais principalement parce que nos moyens sont réduits (et pas parce qu'un sujet serait intrinsèquement plus fondamental que l'autre).

D'ailleurs, tu as lu un peu vite Benkler, parce qu'il dit explicitement que le sujet du droit d'auteur n'est pas une bataille perdue, ni qu'il ne faudrait pas continuer à la livrer. Il procède juste à une hiérarchisation de priorités, sans appeler à abandonner le terrain du copyright.

C'est d'ailleurs ce que l'on constate du côté de l'EFF aux Etats-Unis. Après l'affaire Snowden, ils se sont fortement investi dans les dossiers surveillance et privacy, mais sans lâcher pour autant le dossier Copyright sur lesquels ils restent très actifs (ils ont plus de moyens que La Quadrature...).

Sur la hiérarchisation que tu fais entre la protection des données et les infrastructures toxiques, je pense que tu commets une erreur de perspective que je vais essayer de résumer ainsi. Si tu dois te battre contre un char d'assaut, tu peux essayer de briser sa structure avec des obus, mais il est également possible de le priver de carburant.

Avec nos recours collectifs sur le RGPD, nous sommes en train d'essayer de priver les plateformes de carburant (et c'est pourquoi il reste crucial aussi de se battre sur le règlement ePrivacy, qui est presqu'aussi important que le RGPD). Mais l'axe de lutte que tu suggère, à savoir celui de la transparence et de l'ouverture des algorithmes, est également pertinent. Mais juste complémentaire.

Ceci étant dit, un petit doute me prend quand même quant à la pertinence de ce que tu proposes. Tu paraît penser qu'il serait possible de "réparer" Facebook en lui demandant d'ouvrir ses algorithmes. Or c'est éminemment contestable. Au point où nous en sommes arrivé, je doute fort que l'on puisse réparer Facebook et c'est pourquoi, il me semble beaucoup plus judicieux de le priver de carburant à la source.

Ce que tu proposes ressemble en fait plus à une résignation qu'à un combat et cela me pose franchement problème. Surtout que tu ne mentionnes même pas une autre voie qui consiste à défendre et promouvoir les alternatives libres, neutres et décentralisées (combat qui, pour nous à La Quadrature, a toujours été et reste l'enjeu prioritaire). Je préférais pour le coup quand tu parlais de l'index indépendant du Web...

Bref, on peut dire aussi "Dieu est mort", mais l'histoire est en général assez cruelle avec ce type de constat péremptoire...

olivier ertzscheid

Salut Lionel, merci d'avoir pris le temps de cette réponse. Je suis certes le plus mal placé pour plaider ma cause mais ne me fais pas l'offense de penser qu'une tribune de 8 paragraphes résume ou remplace les combats et les causes que je défends sur ce blog depuis plus de 10 ans ;-) Ceci étant dit tu as raison je crois que pour le coup, on a un vrai point de divergence mais cette divergence porte - heureusement - comme j'essaie de l 'expliquer dans mon billet, uniquement sur la hiérarchisation des combats et en aucun cas sur le fait que ces combats soient bien sûr tous liés. Et justement, en termes "d'opinion" ou de "ménagère de moins de 50 ans" ou de "primo-accédants au numérique", je pense - mais je peux me planter - qu'il faut désormais changer de registre et que ce qu'il faut porter dans l'espace public pour contraindre les politiques à s'en saisir c'est la question des architectures techniques toxiques. De la même façon que hier la quadrature et d'autres acteurs ont permis de porter dans l'espace public celui des données personnelles, et qu'avant hier encore ce fut celui du droit d'auteur. Et que grâce au boulot constant de ces acteurs on a en effet pu obtenir le RGPD et plein d'autres avancées. Quand à ne pas se résigner et à continuer de défendre et de promouvoir les alternatives libres, neutres et décentralisées ... je te confirme que c'est également mon pain quotidien et que ce n'est pas prêt de cesser :-) Et puis bon c'est toujours risqué de filer les métaphores mais bon, concernant le char d'assaut disons qu'au-delà du fait de le priver d'essence (les données personnelles), je crois qu'il faut aussi et surtout l'empecher de pouvoir tirer des obus (en contrôlant son architecture technico-mécanique toxique).

Oncela

Pour sortir de la métaphore, on doit pouvoir résumer les deux démarches à : (1) tenter d'interdire une chose et (2) tenter d'en réduire les effets négatifs.

Sans surprise, l'option 2 est toujours la plus facile à exposer au grand public, car c'est le discours dominant qui a toujours accompagné l'apathie politique : il faut réguler le capitalisme, il faut de la transparence pour les entreprises, il faut éduquer les gens au numérique, blablabla.

Dire qu'il faut interdire et détruire, c'est s'opposer aux puissances établies, le public y est moins habitué et y est moins réceptif. C'est moins simple.

Mais ce n'est pas du tout un argument pour devenir moins radical et se résigner à tenter d'encadrer au lieu de vouloir interdire. Si c'est l'oreille du public qu'on cherche, il faut rendre nos positions radicales plus audibles, moins troublantes, plus amusantes, ok. Mais pas moins radicales.

Cette question de réceptivité du discours est tout à faire dépassable. Dire que vouloir interdire la collecte de données sauvage est devenu obsolète, c'est accepter qu'on est pas assez bons, nombreuses et motivés pour vaincre. C'est super démobilisant - et un discours démobilisant peut être plus facilement entendu, c'est vrai, mais à quoi sert-il encore ?

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