20 ans. Le premier navigateur web "graphique" (= capable d'afficher des images) à 20 ans. Son nom "Mosaïc". Parce que le web était déjà une mosaïque, parce qu'il fallait être prosaïque, il fallait à la fois tenir de la prose - ce web était écrit - et ne pas trop y chercher la grâce ou l'élévation mais se contenter de faire sonner trompettes pour pouvoir contempler médusés la mosaïque ainsi offerte par quelques-uns à quelques autres. 20 ans plus tard, le web est toujours une mosaïque, mais désormais semblable à celle des chaînes, qui toutes luttent pour enchaîner notre attention. 20 ans plus tard le web s'habille en jantes alliages et sort ses "Chrome".
Comme il est possible d'écrire une histoire de la géographie faite de ses explorateurs, il doit être possible d'écrire une histoire du web faite du nom de ses navigateurs. Tentons le coup.
"Il était un petit naviiii ..." gateur.
1993. Tout commença donc par une prosaïque mosaïque. Mosaïc.
1994. Il y eut cette fuite promesse de découverte, cet échapatoire. Net escape. L'échapée belle. Netscape.
1995. Il y eut ce départ pour un continent inconnu. Cet exploration continue. Il y eut Internet Explorer.
1996. Il y eut cet écho, cette symphonie des textes dont chacun détenait une partie infime de la partition, une foule immense dans la fosse d'orchestre, mais sans commune mesure avec celle siègeant dans les gradins. Cet Opera. Cet oeuvre. Ce travail. Cet Opera.
1998. L'échapée belle, la Net Escape s'affranchit de la seule diffusion des textes pour commencer à réellement communiquer. Il y eut Netscape Communicator.
2003. Il y eut aussi cette quête, ce plaisir de la traque lié au plaisir d'exhiber la traque elle-même. Selon les cas de biens gros moyens pour de petits gibiers, parfois aussi des moyens dérisoires devant la bête levée. Ce Safari.
2004. Il y eut cette lassitude de la traque, qui céda place à cette envie d'apprivoiser tout cela davantage.
Le Petit Prince : Non. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie " apprivoiser " ?
Le Renard : C'est une chose trop oubliée. Ça signifie " créer des liens... "
Le Petit Prince : Créer des liens ?
Le Renard : Bien sûr. Tu n'es encore pour moi , qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
Ce renard qui nous apprivoisa en attisant un feu qui fut celui d'étreindre une totalité. Ce Firefox.
<Update> Silvère m'indique sur Twitter que le Firefox serait en fait un Panda roux et non un renard. UNe rapide enquête l'indique que le sujet fait effectivement débat. Débat que je vous laisse trancher. Disons, un panda roux avec une bonne vieille tête de renard </Update>
2008. Il y eut ce clinquant. Ces jantes alliage. Ce goût de la vitesse. Cet attrait pour les lumières de la société du spectacle. Ce tuning de nos navigations. Ce Chrome.
"Qui n'avait ja-ja-jamais navigué ..."
Prosaïque. Mosaïque. Inexploré. Symphonique. Travaillé. Oeuvre autant qu'Opera, mais d'abord collectif/ve. Communiquant. Aventureux. Traqueur et traqué. Chasseur et cible. Et puis apprivoisé. Poli a force de passages. Brillant. Chromé. Le web. Irréductible à ses navigateurs comme l'océan l'est à ses chaloupes, seulement nécessaires pour que nous puissions en éprouver toute l'immensité. Nous éprouver nous-mêmes. En profiter parfois pour en retrouver d'autres. D'autres, autres que nous-mêmes.
"Ohé ohé matelot ..."
Un jour de printemps bien avant les années 2000, j'entrai dans un bureau d'une université toulousaine. Mon bureau d'étudiant en stage. J'allumais le PC qui m'était dévolu. J'y trouvais à peu près ceci.
Une autre fenêtre me proposait un logiciel au nom étrange. NCSA Mosaïc. Youpi. Ou plutôt ... Yahoo !
Comme une promesse. J'ai mis un peu de temps avant de comprendre comment "se connecter". Il y avait dans ce verbe "se connecter", une part de magie que l'on s'échinerait en vain à décrire aujourd'hui quand on ne connaît plus que la connexion permanente et que toute non-connexion est vécue comme une panne et non comme une peine (au sens de difficulté). "Se connecter" nous faisait au sens propre entrer dans la matrice. Oui, oui, comme dans Matrix. Il y avait la même hébétude, la même incompréhension, des codes à entrer, des défilements auxquels nous ne comprenions pas grand chose, des bruits étranges de modems mélangés à l'odeur si particulière du café du matin. Nous entrions dans quelque chose d'autre. C'était il y 25 ans. Je cherche toujours comment l'apprivoiser.
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