(billet inspiré par quelques rapides tests sur Whostalkin, découvert chez Steve Rubel)
En ce temps-là ...
En ce temps là, la vie était plus belle simple : on avait les annuaires, les moteurs et les méta-moteurs.
En ce temps-là l'unité de publication était la page (web).
En ce temps-là, ceux qui publiaient sur le net ne publiaient (généralement) QUE sur le net, pas dans les grands médias. Et ceux qui écrivaient dans les grands médias ne publiaient pas sur le net.
En ce temps là, ce qui était écrit, restait écrit, restait fixé.
Et puis ...
Et puis les annuaires disparurent. Ne restèrent que (quelques) méta-moteurs et surtout les moteurs et surtout LE moteur.
Et puis les unités de publication se réduisirent, se fragmentèrent. L'unité ne fut plus seulement la page mais également le billet (de blog), voire le fil (de discussion sur un forum ou de commentaires sur un blog) ou le micro-fil (twitter limite l'unité de publication à 140 caractères). Une unité de publication parfois simplement confinée à une unité de présence en ligne, laquelle unité de présence est elle-même composée des traces éparses (profilaires ?) de notre
social stream tel qu'il se constitue par exemple au travers de nos
différents profils sur différents réseaux sociaux,
Et puis les instances d'énonciation éditoriales se floutèrent. Publier ici n'empêcherait plus de publier là. Les journalistes écrivent "dans" le web, les blogueurs écrivent "dans" les journaux, passent à la télé. Certains journaux ne sont faits que de reprises d'écrits de blogs (vendredi.info), certains blogs (maître Eolas) jouissent d'une crédibilité supérieure à certains journaux.
Et puis ce qui était écrit par l'un devînt modifiable par l'autre, par tous les autres (Wikipédia). L'auteur, l'autre. Figure gemellaire de l'hypertextualité. Agencements collectifs d'énonciation. La trace céda la place à sa propre traque.
Voilà ce qui changea. Ce qui ne change pas en revanche, pour vous, pour moi, c'est le besoin de s'y retrouver (au sens propre mais également et de plus en plus souvent au sens figuré également ...), d'y trouver parfois simplement "quelque chose", plus rarement "ce que l'on cherche".
Editorialement parlant, on dispose donc désormais de trois "médiasphères" :
- le micro-net de type twitter mais également composé de nos traces profilaires,
- le meso-net de type "blogs" individuels et non-institutionnels, ainsi que de la longue cohorte des pages personnelles
- et le macro-net de type journaux ou chaînes de télé implantés sur le web (libération, le figaro, l'Obs ...)
Machiniquement parlant, pour rendre compte de ce nouveaux paysage éditorial du net, on ne dispose pourtant plus que des seuls moteurs qui, de plus en plus souvent, mal étreignent à force de trop embrasser.
Idéalement, il faudrait pouvoir disposer d'un moteur pour chacune de nos trois médiasphères. Car il va sans dire que la spécificité éditoriale de chacune d'entre elles conditionne à la fois la nature des recherches qui y sont effectuées mais également la nature, la granularité documentaire des résultats qui y figurent. Et l'on se prend à rêver d'un retour des moteurs à curseurs avec un même moteur permettant de régler le "grain" de la recherche depuis les macro-médias du macro-net jusqu'aux micro-médias du micro-net.
Aujourd'hui, on dispose de :
- Nano-moteur : pour chercher dans le micro-net. Exemple : WhosTalkin?
- Meso-moteur : pour chercher dans le meso-net. Exemples : Blogsearch, Technorati, Wikio.
- Macro-moteur : pour chercher dans le macro-net. Exemple : Google et Google News.
Cette granularité est inédite à cette échelle, et il y a fort à parier que 2009 lui donnera ses lettres de noblesse, l'enracinant comme une composante à part entière du Giant Global Graph. Alors que l'étage supérieur, le macro-net, apparaît aujourd'hui stabilisé, ayant atteint un rythme de croissance optimal, le micro-net et le meso-net continuent d'exploser, sur le même type d'échelle logarithmique que le web à ses débuts. Après la croissance des blogs, c'est aujourd'hui la croissance des réseaux sociaux et des sites de micro-blogging. La valeur de ces deux espaces, du dernier particulièrement, réside dans leur nature conversationnelle. Une conversation certes souvent tenue par des idiots et pleine de bruit et de fureur, mais également une conversation qui aiguille, qui stimule, qui signale, et qui est en tout état de cause le complément aujourd'hui indispensable de la plénitude du net comme médiasphère. Bref une conversation qui mérite d'être indexée et suivie pour pouvoir être ensuite accédée de manière asynchrone, dans la verticalité qu'impose le couperet d'une recherche et non plus simplement dans la linéarité d'un échange.
Signalons pour finir que cette granularité se superpose à une autre granularité préexistante et depuis déjà longtemps consubstantielle au net : la granularité des médias (vidéos, images, audio, texte) qui le composent. C'est à la croisée de ces chemins, à la croisée de cette granularité bipolaire que devront se positionner les acteurs de la recherche d'information pour répondre aux besoins de l'usager du web de 2009 et d'au-delà.
(Temps de rédaction de ce billet : 2h00)
Superbe billet!
Bravo Olivier!!! Tu commences très fort cette nouvelle année (tous mes voeux d'ailleurs).
De la poésie, un beau style, une belle analyse => un billet qui si la sagesse des foules existait vraiment devrait être numéro 1 des billets à lire de toute urgence!
Encore bravo.
Rédigé par : Jérôme Charron | 05 jan 2009 à 23:36
Jérôme> Et bien ... Merci :-) Et meilleurs voeux à toi aussi.
Rédigé par : olivierertzscheid | 06 jan 2009 à 07:34
Merci de nous garder toujours la tête hors de l'eau sur nos pratiques quotidiennes, il y en a tellement besoin...
J'y ajouterai volontiers la montée en puissance d'autres types de moteur de recherche, orientés sur les personnes comme "objets conversationnels", je ne sais pas dire si c'est vraiment pour 2009 ou pour plus tard.
Nos travaux sur l'identité numérique font état de la volonté des individus de maîtriser (à défaut de vraiment contrôler) leur identité numérique, entendues ici l'identité numérique comme l'ensemble des données formelles et informelles qui peuvent être rassemblées et mises en relation à propos d'un même individu. Contrairement à ce que l'on entend souvent, on est peu, au moins pour le moment, dans une logique de "branding" et d'éditorialisation fine de soi que d'apprentissage progressif de mise en musique de ses micro-traces dans l'internet. Et qu'en prenant l'hypothèse de la montée en puissance des contenus auto-promotionnels sur les individus, alors la place des moteurs de recherche de personne pourrait s'accroître et devenir un acteur incontournable de nos quotidiens numériques. Bon, ça reste des signaux faibles dont l'avenir nous dira comment des 123people.fr ou des peekyou.com se positionneront par rapport à notre Google adoré...
Rédigé par : Renaud Francou | 06 jan 2009 à 10:46
Merci pour ce billet passionnant :)
Hugo
Rédigé par : Hugobiwan Zolnir | 06 jan 2009 à 14:33
Merci, ce billet est effectivement très bon. 2009 commence bien.
Rédigé par : loran | 09 jan 2009 à 12:16
Billet très intéressant, mais quelque chose me titille : "Alors que l'étage supérieur, le macro-net, apparaît aujourd'hui stabilisé, ayant atteint un rythme de croissance optimal (...)".
Est-ce si sûr ? N'y a-t-il pas une sorte de trompe l'oeil ?
Ce macro-net n'est que la transposition en ligne (la migration, le transfert, comme on veut) d'institutions qui se sont formées hors du net (leur fonctionnement, leur légitimité, etc., sont simplement héritée du hors ligne et assez peu modifiée, je n'ose même pas dire "adaptées"). On n'est donc pas surpris de les y retrouver, et de les y retrouver sous cette forme connue.
Sauf que ce transfert est tout sauf stable. C'est là que je vois un effet de trompe l'oeil. Ces institutions ont bien du mal à trouver leur place en ligne.
Economiquement d'abord. Elle y vivent aujourd'hui à crédit, subventionnant leur présence par leurs activités hors ligne, qui sont pourtant bien souvent déficitaires.
Socialement ensuite. Leur légitimité, déjà chancelante dans leur espace traditionnel, est profondément remise en cause sur le net. Les fonctions de sélection/hiérarchisation, le pouvoir de recommandation, qui étaient les leurs, trouvent en ligne de meilleurs manières d'être opérées, par les moteurs, les agrégateurs, les réseaux sociaux, etc.
Bref, ça ne me parait pas stabilisé du tout. ;-)
Rédigé par : narvic | 09 jan 2009 à 17:05